« L´industrie génétique remet en cause la possibilité même de nos enfants de se nourrir »

Publié le par semeur34

« L´industrie génétique remet en cause la possibilité même de nos
enfants de se nourrir »

Par Sophie Chapelle, 11 mars 2009

OGM de deuxième génération, plantes mutées à coup de radiations,
semences de synthèse dont les gènes seront numérisés et privatisés... Guy Kastler nous décrit ce que préparent les multinationales de l´industrie
génétique et agroalimentaire. Des projets à faire frémir. Le délégué
général du Réseau semences paysannes explique également comment nous, jardiniers paysans ou simples citoyens urbains, pouvons empêcher cettedestruction programmée du vivant.

Guy Kastler est délégué général du Réseau semences paysannes, chargé de mission pour Nature et Progrès, membre de la Confédération paysanne et de la commission Biodiversité de Via Campesina.

*Y a t-il aujourd´hui des plantes mutées dans nos assiettes ?*

Oui, nous mangeons tous des blés mutés ou des potagères mutées.
Contrairement aux plantes transgéniques, il n´y a aucune obligation
d´information du consommateur. Les plantes mutées sont considérées comme des OGM par la directive européenne 2001-18, mais elles sont exclues de son champ d´application. Près de 3000 variétés de 170 espèces différentes obtenues à partir de mutations incitées sont recensées par l´AIEA (Agence internationale de l´énergie atomique). Elles sont commercialisées sans aucun étiquetage et sans aucune évaluation
environnementale ou sanitaire. Pourtant, de l´aveu même des chercheurs,
le stress violent que subit la plante génère des recombinaisons
génétiques aléatoires plus nombreuses qu´avec la transgénèse. Ces
recombinaisons sont responsables de la plupart des effets nocifs des OGM sur la santé. Il n´y a aucune raison pour qu´elles soient inoffensives
avec les plantes mutées.

*Depuis quand l´Agence internationale de l´énergie atomique
s´occupe-t-elle d´agriculture !?*

Elle travaille depuis une dizaine d´années, en partenariat avec la FAO
(Organisation des Nations Unies pour l´alimentation et l´agriculture)
sur l´augmentation de la production alimentaire des Etats membres. Ils
justifient le recours à la mutagenèse par le besoin de trouver des
plantes dès maintenant pour nourrir le monde.

*En quoi consiste cette mutagenèse ?*

Depuis les années 1950, les chercheurs travaillent sur des cellules
qu´ils soumettent à un stress important : par irradiations -
bombardements au cobalt ou rayons gamma - ou avec des produits chimiques très agressifs comme la colchicine. C´est ce stress qui provoque une mutation de gènes aussi appelée « mutation incitée » par l´AIEA [1 <#nb1>]. Pendant des années, le coût de cette technique aléatoire a freiné son développement. Après avoir soumis des milliers de cellules au stress mutagène, il fallait les multiplier en autant de plantes avant de savoir si cette mutation présentait un intérêt. La connaissance
aujourd´hui du génome de la plante rend la méthode de la mutagénèse
intéressante économiquement et industrialisable. A partir du moment où
l´on a la séquence génétique complète d´une plante, on repère
immédiatement dans la cellule si un gène a muté ou pas et si la mutation
est intéressante. Une dizaine de multiplications suffisent ensuite pour
obtenir les lignées recherchées. La mutation incitée est considérée
comme une « méthode de sélection traditionnelle », une tradition
pourtant bien récente. On ne ferait qu´accélérer le processus naturel de
modifications spontanées des plantes, au fil des millénaires et de leur
co-évolution avec l´environnement [2 <#nb2>].

*La lutte contre les « simples » OGM est-elle déjà dépassée ? Où en est
le rapport de force au niveau européen ?*

La bagarre contre les OGM de première génération - OGM pesticides et/ou OGM résistants à un herbicide - n´est pas gagnée en Europe. Depuis 15 ans cependant, nous maintenons un rapport de force qui nous est
favorable et qui est important pour les pays du Sud car il justifie
leurs moratoires. Mais cela risque d´évoluer avec l´arrivée sur le
marché des OGM de deuxième génération. Ces Ogm sont dits « sécurisés » et « éco-compatibles » car ils sont censés garantir l´absence de risque pour l´environnement et la coexistence entre les cultures OGM et les autres cultures. Leur transgène deviendrait inactif avant la floraison
ou la récolte, ou ne serait pas activé sans l´usage d´un produit
chimique. Cela empêcherait toute contamination. Actuellement, ces OGM de deuxième génération font l´objet de recherches dans le cadre d´un
programme appelé «Transcontainer, financé par la Commission
européenne.
<
http://www.transcontainer.wur.nl/UK/About/>

*OGM de deuxième génération en préparation, plantes mutées déjà
commercialisées... Que nous préparent encore les apprentis sorciers du
21ème siècle ?*

Pendant longtemps, la biologie moléculaire a reposé sur l´idée qu´à un
gène correspondait une protéine. Lorsque l´on modifiait un gène, on
pensait ne modifier que la protéine. Ce dogme est totalement remis en
cause aujourd´hui par la biologie synthétique. Aussi appelée biologie «
systémique », elle porte sur la manière dont les gènes sont reliés entre
eux. Les liens qui organisent les relations entre les gènes influeraient
tout autant que les gènes eux-mêmes sur la présence et la nature des
protéines. C´est ainsi que des chercheurs travaillent actuellement sur
la combinaison de plusieurs gènes en vue de créer des plantes
résistantes à la sécheresse. Mais ces recherches n´ont pas abouti pour
le moment.

Dans la transgénèse, les gènes transférés sont déjà issus de synthèse
chimique recopiant la séquence de gènes naturels. Aujourd´hui, une
nouvelle étape est franchie. On passe de l´insertion de gènes
synthétiques dans des organismes vivants réels - les OGM - à la mise en
réseau de ces gènes et à la fabrication de portions de génomes ou de
génomes totalement synthétiques. Autrement dit, il est possible de
fabriquer aujourd´hui des organismes vivants et reproductibles
complètement nouveaux. Des laboratoires ont réussi à le faire avec des
bactéries. Leur travail porte aujourd´hui sur les plantes. C´est là que
réside le principal danger : la plante entière étant fabriquée par
synthèse, les chercheurs n´ont plus besoin de graines vivantes mais
seulement de leur séquence génétique numérisée dans un ordinateur.

*Les banques de semences, qui conservent la biodiversité des plantes
cultivées, risquent-elles d´être abandonnées au profit de semences «
numériques » privatisées ?*

C´est déjà le cas, notamment dans les pays du Sud. C´est la mission des
Etats de préserver les ressources génétiques - animaux, microbes,
plantes - et de les mettre à disposition de tous. Cette mission est
d´autant plus essentielle dans les pays qui ont industrialisé leur
agriculture que la biodiversité cultivée dans les champs a disparu.
Cette mission est pourtant délaissée progressivement au prétexte de
manque de crédits. Une partie des banques de gènes est aujourd´hui
privatisée, avec un accès de plus en plus restreint pour l´agriculteur
ou le jardiner. Toutes les firmes ont construit leurs propres banques de
gènes grâce à leur accès facilité aux banques de semences publiques.

En France, le Bureau des ressources génétiques (BRG) a été absorbé par
une Fondation de droit privé (Fondation pour la Recherche sur la
Biodiversité <
http://www.fondationbiodiversite.fr/Accueil.html>) ouverte
aux fondateurs publics - INRA [3 <#nb3>], CNRS, Muséum national
d´histoire naturelle, CIRAD... - mais également privés [4 <#nb4>]. Ceux-ci
siègent d´office au Conseil d´administration où ils deviendront
facilement majoritaires.

Sur l´île de Svalbard en Norvège, les fondations Bill Gates et
Rockefeller ont financé une banque de gènes dans laquelle sont
entreposés dans le froid plus de 4,5 millions d´échantillons de
semences. L´accès à cette banque est réservé aux institutions contrôlées
par les multinationales semencières. Ces semences ne seront pas
ressemées : elles perdront rapidement toute leur capacité de
germination. Même mortes, elles pourront livrer leurs séquences
génétiques aux ordinateurs de l´industrie, convaincue de sa capacité à
recréer un monde artificiel à partir de ces seules séquences. Un monde
qui sera totalement fiché par la marque des droits de propriété
industrielle sur les gènes. Mais l´industrie ne pourra jamais faire des
plantes capables de s´adapter partout. Elle en fabriquera quelques-unes
pour toute la planète, qui ne pousseront qu´avec davantage d´engrais
chimiques et de pesticides. En agissant ainsi, elle remet en cause la
possibilité même de nos enfants de se nourrir.

*Comment éviter cette destruction du vivant ?*

Créé en 2003, le Réseau Semences Paysannes
<
http://www.semencespaysannes.org/> s´est développé très rapidement avec l´apparition des OGM. Paysans et jardiniers ont pris conscience que
s´ils ne voulaient pas avoir d´OGM, ils devaient s´emparer du travail de
conservation, de sélection et de multiplication des semences. La
première étape a donc été de se réapproprier les savoirs et les
ressources génétiques pour les remettre dans les champs. Tout en
continuant ce travail de réappropriation, nous sommes en train de passer
à une deuxième étape. Face au risque de disparition de milliers de
graines enfermées dans des banques, face à l´impossibilité de
sélectionner des plantes saines à partir de semences commerciales
modernes trafiquées - à cause de la perte de leur qualité nutritionnelle
et du besoin d´engrais chimiques pour pousser - nous appelons à vider
les banques de semences pour faire des maisons de la semence.

*A quoi servent ces maisons de la semence ? Quel rôle peuvent jouer les
simples citoyens ?*

L´idée des maisons de la semence
<
http://semonslabiodiversite.org/spip.php?article20> est que paysans et
jardiniers s´y regroupent pour mettre leurs semences en commun et gèrent
ensemble ce patrimoine. On ne peut pas chacun de son côté replanter
chaque année 500 à 800 variétés de semences. Dans la mesure où l´Etat
privatise cette mission de service public, la société civile doit s´en
emparer en faisant reposer la gestion de ce patrimoine sur une
organisation collective. Les paysans ont un rôle clair à jouer dans ce
travail de culture. Les jardiniers amateurs sont aussi une composante
essentielle. Ils ont préservé ces dernières années des milliers de
variétés anciennes de potagères ou d´arbres fruitiers qui seront une
bonne partie de l´alimentation de demain. Pour celles et ceux qui n´ont
pas de terre, nous avons besoin d´une aide administrative mais aussi de
personnes qui communiquent sur ce travail et lui donnent du sens. La
société civile doit aussi nous aider à mobiliser les élus pour la
reconnaissance des droits des paysans et des jardiniers à conserver,
ressemer et échanger leurs semences. Des conseils municipaux ont déjà
pris des délibérations pour cela.

*Les lois actuelles empêchent donc les paysans de ressemer leur propre
récolte !?*

Le verrouillage juridique est de pire en pire. En France, les
agriculteurs n´ont pas le droit d´échanger des semences. Ils ne peuvent
plus ressemer une partie de leur récolte sans payer de royalties, c´est
à dire une redevance aux semenciers. On parle de « contribution
volontaire obligatoire » pour le blé tendre. C´est un système qui
pourrait être étendu à toutes les espèces. On a encore le droit
aujourd´hui d´échanger des semences qui ne sont pas inscrites au
catalogue à titre payant ou gratuit si c´est pour une exploitation non
commerciale. On peut par exemple vendre une semence à un jardinier
amateur car il va consommer sa propre récolte et ne pas la vendre sur un
marché. Mais cette dernière marge de manoeuvre risque aussi de
disparaître avec une réforme actuelle des règlements européens.
Pourtant, le Parlement a ratifié un traité, le TIRPAA [5 <#nb5>], qui
reconnaît les droits des paysans à ressemer, échanger et vendre leurs
semences. Mais le gouvernement n´applique pas ce traité et une campagne citoyenne est aujourd´hui indispensable pour la reconnaissance de ces
droits.

*Ces alternatives ont-elles des équivalents en Europe ?*

Des réseaux ressemblent beaucoup aux nôtres en Italie
<
http://www.semirurali.net/modules/home/index.php?content_id=1>, en
Espagne <
http://www.redsemillas.info/?page_id=2>, en Allemagne ou en
Autriche. La mobilisation citoyenne en Europe sur le thème des semences
prend de l´ampleur et accompagne très souvent les luttes anti-OGM. Nous
avons du retard sur les pays du Sud où la conservation de la
biodiversité est le premier acte de l´agriculture vivrière. Tous ces
paysans conservent et échangent leurs semences. Leur mobilisation
aujourd´hui est extrêmement importante à la fois contre les lois
européennes qui s´imposent à l´ensemble de la planète, et contre les Ogm
pour protéger leurs semences des contaminations. Nous avons beaucoup à apprendre des pays du Sud.

Recueilli par Sophie Chapelle pour Basta !

Notes

[1 <#nh1>] « Les scientifiques de l´AIEA utilisent les rayonnements pour
produire des plantes améliorées à rendement élevé qui soient capables de
s´adapter à des conditions climatiques difficiles comme la sécheresse ou
les inondations, ou de résister à certaines maladies et insectes
ravageurs. L´induction de mutations, c´est le nom de la technique, est
sûre, éprouvée et rentable. Elle est utilisée depuis les années 20 »,
communiqué de l´AIEA du 2 décembre 2008, « La science nucléaire au
service de la sécurité alimentaire ».

[2 <#nh2>] « Je comprends que les gens se méfient de ces technologies
mais, pour ce qui nous concerne, il faut bien comprendre que, dans la
sélection des plantes, nous ne produisons rien qui ne soit produit par
la nature elle-même. Aucun rayonnement résiduel ne subsiste dans une
plante après l´induction de mutation », Pierre Lagoda Division mixte
FAO/AIEA.

[3 <#nh3>] Institut public de recherche agronomique

[4 <#nh4>] France génétique élevage pour les éleveurs, Limagrain ou
Oleosem pour les semenciers, L´Oréal ou LVMH pour les cosmétiques, Total pour l´énergie ou encore le Medef, pour n´en citer que quelques-uns,
font partie du Conseil d´orientation stratégique de la fondation aux
côtés de structures publiques ou d´associations de défense de
l´environnement, ndlr

[5 <#nh5>] Traité international sur les ressources phytogénétiques pour
l´alimentation et l´agriculture <
http://www.planttreaty.org/index_fr.htm>

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