Foire sous-régionale d’échange des semences paysannes, Djimini, Sénégal

Publié le par semeur34

17-03-2009


Contre l’expansionnisme de l’agro-business

Les semences dites industrielles, sont exigeantes en intrants et ôtent toute indépendance d’action aux producteurs. Aussi, l’Association sénégalaise des producteurs de semences paysannes (Aspsp) s’est-elle fixée comme mission le combat pour la conservation par les producteurs de leurs semences, gage de leur autonomie et de la souveraineté alimentaire. C’est dans cette optique que cette association, a organisé du 7 au 9 mars, une foire d’échanges de semences paysannes, à Djimini, village proche de Vélingara.


Par Abdoulaye KAMARA


Le site qui a accueilli la foire sous-régionale des semences paysannes est resté austère, poussiéreux. Les stands sont faits de tiges d’arbustes tressées et les tables d’exposition, du même matériau. L’Aspsp n’a rien fait pour moderniser le site, le décorer davantage. Lamine Biaye et Cie sont convaincus qu’il existe des domaines où le modernisme à tout va, n’a pas de place. Le président de l’Association organisatrice de la foire disait à cet effet : «De grandes sociétés sont en train de développer des stratégies pour s’approprier le patrimoine semencier dans le monde. Ce qui constitue une menace pour la diversité biologique dans les pays africains. Pour faire face à cette menace, des paysans et spécialistes des questions agricoles se sont mobilisés, ont pris des initiatives et ont créé des interactions avec des paysans de l’intérieur du pays et des pays de l’Afrique de l’Ouest.»
Pour cette deuxième édition de la foire d’échanges des semences paysannes, Djimini, village à 1,5 km de la commune de Vélingara, a hébergé pendant 3 jours, du 7 au 9 mars, des délégations de la France et de 7 pays africains que sont la Gambie, la Guinée Bissau, la République de Guinée, le Burkina Faso, le Mali, le Togo et le Bénin. En plus des exposants de toutes les régions du pays. Il ne s’agissait pas d’une foire commerciale, mais plutôt d’une «foire d’échanges de semences locales traditionnelles, de savoir-faire, de pratiques et d’initiatives dans les différentes communautés membres. Ce sont toutes ces expériences paysannes que nous tentons d’identifier, de mettre en relation, de valoriser et développer des synergies qui vont donner des résultats concrets et créer un processus de prise de conscience», a dit Pape Meïssa Fall ; membre de l’Association.

Promotion des semences familiales
Comme dit, la foire de Djimini a été l’occasion d’échanges de semences de toutes sortes, avec comme caractéristiques communes, «des semences familiales, conservées par les paysans eux-mêmes. Elles ne sont pas exigeantes en matière d’eau et d’intrants et plus rentables», a noté le président Lamine Biaye. Contrairement aux «semences industrielles, fabriquées par de grandes firmes et dont la production exige une utilisation abusive de pesticides, d’engrais, au coût de production cher, dangereuses pour l’environnement et préjudiciable au processus d’autonomisation des paysans». C’est même un impératif de survie des producteurs du tiers-monde que de perpétuer les techniques de conservation des semences par eux-mêmes, techniques héritées des ancêtres et qui ont rendu possible la survie de certaines espèces végétales depuis des temps immémoriaux. C’est pourquoi, Jeanne Zoundjihekpon, généticienne, s’oppose à «toute forme de certification des semences. Car, la certification relève du droit de la propriété intellectuelle. Où se trouve alors le mérite de paysans qui ont conservé ces mêmes espèces depuis des millénaires ? Nous sommes pour la libre circulation des semences locales traditionnelles. Je suis Béninoise, je viens au Sénégal pour échanger des semences avec des Sénégalais, des Togolais, des Burkinabè, des Maliens et vice versa. Nous sommes contre le brevetage du vivant». C’est pour mieux pousser les paysans à la conservation des semences et barrer la route aux Ogm, qui sont «des produits de laboratoires. Nos paysans souffrent déjà pour avoir des semences, les Ogm vont accentuer ces souffrances. De plus, les Européens et les Américains n’aiment pas ces Ogm. Vous croyez que c’est pour rien que le français José Bové en fait son cheval de bataille ? En Amérique, il existe des millions de nationaux qui sont contre les Ogm. Alors pourquoi devrions-nous les accepter en Afrique ?» a conclu cette enseignante, membre de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen).
Pendant cette foire, des communications ont été faites sur la problématique du foncier, de la certification et du riz en Afrique.

Quel riz pour l’Afrique ?
«L’Adrao, devenu le centre africain pour le riz fait la promotion du riz Nerica, qui est obtenu par hybridation entre le riz africain et le riz asiatique. Malheureusement, les croisements se soldent souvent par des échecs parce que ce sont des semences qui se dégradent de façon significative, après la première année. Les agriculteurs qui achètent ce genre de semences doivent les renouveler à chaque campagne agricole.» Cette déclaration est de la chercheuse béninoise, Jeanne Zoundjihekpon. Cette enseignante et généticienne faisait une communication sur le thème Quel riz pour l’Afrique ?
Cette variété hybride de Nerica est, malheureusement, promue par plusieurs pays africains qui l’imposent aux riziculteurs dans leurs différents programmes riz. C’est le cas du Sénégal. Et pourtant, renseigne la chercheuse, il existe des variétés africaines telles que le Oryza glaberrima qui ont nourri les Africains depuis au moins 3 000 ans. «Le riz africain est le riz qu’il nous faut, parce qu’adapté à nos conditions géo-climatiques et phytosanitaires, et non pas le Nerica qui est un monstre de l’agrobusiness», a-t-elle tranché.
Et les paysans connaissent les techniques de conservation de ce riz, selon plusieurs orateurs qui participaient au panel de Djimini.
A son tour, le Malien Mamadou Lamine Coulibaly, président de la Coordination nationale des organisations paysannes (Cnop), a révélé : «Le riz préféré des Maliens est le Gamiaka. Les femmes le cultivent dans leurs fermes. Malheureusement, l’Etat ne fait pas sa promotion. A la place, c’est le Nerica qui est imposé dans le programme riz de l’Etat malien. Pour la culture pluviale écoulée, la campagne a échoué. Les agriculteurs n’ont pas atteint 2 tonnes à l’ha. Qui va accepter de faire le Nerica la saison prochaine ?».
Le délégué de la Guinée Bissau à cette foire a insisté sur la nécessité de faire la promotion d’une variété de riz qui colle aux besoins des consommateurs. Soit parce qu’il est appétissant et productif, fut-il d’origine hybride ou rentable tout court, c’est selon. «On ne pourra jamais faire accepter aux populations des variétés de riz qui ne soient pas à leur goût. Soit pour des questions économiques ou de palais», a-t-il remarqué.
Le forum de Djimini a proposé que les gouvernements africains soutiennent les semences locales traditionnelles, qu’ils impliquent les organisations paysannes dans la définition de leurs politiques agricoles et que la recherche agronomique fasse la promotion du riz africain.

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